dimanche 17 novembre 2019

Un talent qui se perd…




« Allez donc jouer dehors! »  J’entends encore ma maman, de sa voix empreinte d’un soupçon d’exaspération devant notre trop plein d’énergie ou d’agaçante  léthargie.  Maman savait que le meilleur remède à prescrire contre ces deux maux opposés – l’énergie à revendre et l’inactivité oisive – est une bonne dose de soleil, d’air frais, d’espace et exercice!  Elle-même avait été élevée à la ferme avec ses onze frères et sœurs, et le champ autour de la maison était son aire de jeu préférée.  Là, elle s’imaginait toutes sortes de passe-temps et elle apprenait à parfaire son talent singulier en se fabriquant des jouets avec des cailloux, des bouts de branches, des feuilles ou spathes de maïs.  À ses yeux, la nature était un cadeau de Dieu,  dont la beauté n’a jamais cessé de l’émerveiller.


Nous, ses enfants, avons pu bénéficier de ses connaissances de la nature ainsi que de sa capacité de se divertir et de se distraire avec presque rien.  Je me souviens d’une occasion en particulier, alors que nous étions allés faire une semaine de camping en famille (je crois que c’était la première et la dernière fois!), une idée de dernière minute à mon père qui savait être impulsif et spontané.  Donc, à cause de notre départ précipité,  il me semble que nous n’y avions pas apporté de jouets.  Le site se trouvait sur le bord d’un lac – nommé «Lac Cristal» – où la baignade n’était pas particulièrement plaisante à cause des gros cailloux sur la plage et du fond de l’eau boueux et gluant.  Je n’avais que cinq ou six ans, donc je ne me rappelle pas de tout, mais il me semble que mon père était souvent parti et que nous restions seuls avec notre mère.  Cependant, je me souviens clairement du jour où elle a trouvé le moyen de nous divertir et nous amuser.  Elle nous avait fabriqué de petits canots à partir d’écorces de bouleaux, « cousus » avec des lianes d’herbes quelconques.  Je crois me souvenir que nous avions fait des personnages avec des petites pierres, des bouts de branches et des coquillages.  Nous avons été si occupés et absorbés par ces nouveaux «jouets», qu’à la fin de la semaine, le jour du départ était un peu mélancolique, tandis qu’au début je désirais ardemment retourner à la maison.

Notre maman possédait un talent rustique qu’elle a mis en œuvre pour nous amuser au cours des années de notre enfance.  Elle a nous fabriqué plusieurs autres jouets pour l’extérieur, tels que des arcs et des flèches, des poupées faites de feuilles ou spathes de maïs, de colliers de fleurs de pissenlit, des tomahawks et des tipis.  Cependant, une fois que ses créations avaient été faites, elle nous laissait à nos propres machinations et inventions.  Ainsi, nous avons découvert le secret du plaisir qu’offrent les conceptions et réalisations sortis de notre imagination…  imagination qui se trouvait stimulée par tous les trésors dont la nature recèle et est remplie!

Quelques années plus tard, nous sommes allés habiter dans une grande ville.  Je n’étais pas particulièrement encline à sortir, n’étant ni sportive ni portée vers l’exercice physique, préférant rester le nez enfouie entre les pages d’un livre!  Par contre, il y avait des parcs à proximité de notre appartement, et lorsque contrainte par ma mère, je finissais toujours par y trouver une activité intéressante telle que de ramasser de jolies feuilles d’automne pour les faire sécher entre les pages d’un livre.

Il faut croire que cela ne m’a pas affectée de façon négative, car j’ai agi de la même manière avec mes propres enfants!  Ils allaient jouer dehors à tous les jours – sauf par temps pluvieux ou par grands froids polaires – et quand ils rentraient, le teint bruni par le soleil d’été ou les joues rosies par l’air froid de l’hiver, comme ils étaient beaux!  De plus, j’ai également suivi dans les traces maternelles en réalisant des jouets pour l’extérieur tels que pelles pour le sable faites à partir de bouteilles de plastique, cannes à pêche, arcs et flèches, tipis, personnages de pommes de pin, tapis de carton pour glisser sur la neige et même une authentique patinoire dans la cour arrière.

À leur tour, et cela bien que les gadgets électroniques aient dès lors gagné la première place dans la vie des jeunes, mes enfants reconnaissent encore la valeur et l’importance de l’activité physique et les jeux extérieurs au grand air.  Lorsqu’un de mes petits-fils devenait agaçant, taquin et irritable, voire insupportable, ma fille le sommait d’aller faire trois fois le tour de la maison au pas de course.  Il y allait à contrecœur, mais il rentrait immanquablement calmé et de bonne humeur!

Hier, tandis que, grâce à un congé pédagogique, trois de mes petits-enfants étaient venus se faire garder chez nous, nous avons bénéficié d’une magnifique journée hivernale!   Il faisait agréablement doux et la neige était collante, de consistance idéale pour faire des balles ou de grosses boules de neige pour la construction d’un bonhomme ou d’une forteresse.   Il y a eu quelques petites escarmouches de bataille de balles de neige mais la majorité du temps a été passée à la fabrication de forteresses.  Mon ambitieuse petite-fille, est allée commencer une boule de neige bout du verger mais au trois-quarts du trajet vers sa forteresse, sa boule de neige, qui mesurait près de 3 pieds de diamètre, était tellement grosse qu’elle n’arrivait plus à la faire avancer!  C’est alors qu’elle a sollicité mon aide et que bon gré, mal gré, en déblayant l’excédent de neige qui s’y ajoutait continuellement en la roulant, nous sommes arrivées à destination!

Il fut un temps où l’on voyait immanquablement des familles se promener les soirs après souper, alors que d’autres les saluaient, bien installés dehors sur le balcon à l’avant de la maison.  Il est maintenant chose rare, sinon inexistante, d’apercevoir des gens assis sur un balcon.  Quel malheur que la nouvelle génération perde de plus en plus le goût des activités extérieures!  Quel dommage que l’exercice le plus répandu aujourd’hui consiste à faire bouger ses pouces et ses doigts sur un clavier!  Quelle ironie que de nos jours, le gouvernement se voie obligé de faire de la publicité incitant les gens à «aller jouer dehors»!

Savoir s’amuser dans la nature est une aptitude, un talent qui se perd.  Eh oui, on peut incontestablement affirmer que pour une minorité d’enfants de notre époque, savoir s’amuser dehors est un singulier et heureux talent!


Grand-maman Priscille

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