Je
n’ai pas connu ma grand-mère paternelle.
Elle est décédée lorsque mon père avait onze ans. Malheureusement, nous n’étions pas proches de
mon grand-père paternel, qui s’était remarié en troisièmes noces. La seule fois dont je me souviens l’avoir vu,
il souffrait affreusement des poumons, probablement due à l’amiantose – un squelette,
trop mal en point pour me dire bonjour, qui se berçait à longueur de journée –
j’avais neuf ans.
Ma
mère était la onzième de douze enfants, alors quant à ma grand-mère maternelle,
elle est décédée quelques années avant ma naissance et mon grand-père paternel
l’a suivi cinq ans plus tard. Ma maman
racontait qu’elle s’occupait de son père malade un peu avant son décès, alors
que j’avais un an et demi, et que je lui chatouillais les pieds au bout du lit
– mais je ne m’en rappelle pas!
Je
ne me souviens pas d’avoir vraiment ressenti un grand vide dans ma vie à cause
de cela. Je sais que j’ai demandé où ils
étaient et pourquoi je ne les connaissais pas – et cela probablement suite à un
devoir sur l’arbre généalogique à faire pour l’école – mais sans plus. Il est vrai que je ne savais pas ce qui me faisait
défaut… je n’avais jamais expérimenté
une relation grands-parents/petits-enfants!
Par contre, il devait quand même y avoir une lacune dans ma vie, car dès
la naissance de mes enfants, il m’était très important qu’ils connaissent leurs
grands-parents et cultivent une relation ensemble.
En
songeant à cette situation, je réalise que j’ai été bénie car d’autres
personnes âgées ont comblé ce déficit émotionnel laissé dans ma vie. J’ai eu plusieurs « grands-parents de
substitution » qui m’ont étés prêtés pour remplacer ceux que je n’ai
pas pu connaître! En y réfléchissant, je
me rends compte que j’ai toujours été attirée par les personnes plus âgées, en
plus d’apprécier et d’aimer leur compagnie!
Mon
premier souvenir remonte à l’âge de cinq ans.
Nous avions une voisine que j’aimais beaucoup. Lorsque je sortais jouer dehors, je
m’esquivais souvent vers chez elle où je me souviens m’être sentie aimée et
acceptée – d’autant plus qu’elle me donnait des tartines au beurre
d’arachides!
Quelques
temps plus tard, nous sommes déménagés et il y avait là, habitant au troisième
étage, une dame d’un certain âge et son frère.
Ils étaient très vieux (à mes yeux d’enfant de sept ans!) et le monsieur
aimait rire. Il blaguait continuellement
et il avait une drôle d’expression en anglais : « Well, seventy-four! » (Eh bien, soixante-quatorze!) qu’il lançait en
s’exclamant au cours de nos conversations!
Par
la suite, j’ai dû me rendre dans un service de garde tous les soirs après
l’école en attendant que ma maman termine sa journée au boulot. À cette époque, c’était un service tout à
fait nouveau où des bénévoles – presque toutes des personnes âgées – offraient
quelques heures par semaine pour nous divertir de façon éducative. Une de ces dames nous avait enseignés (à six
ou sept jeunes) à cuisiner des desserts – biscuits, tartes au citron, gâteaux –
que nous avions le privilège de rapporter à la maison – au grand plaisir de mes
sœurs et de mon frère!
Cette chère femme
avait pris le temps de transcrire toutes ces recettes à la main dans des
cahiers recouverts de papier décoratif dispendieux (ces papiers métallisés se
trouvent partout maintenant pour un rien),
qu’elle nous a offerts, à chacun de ses « enfants », en cadeaux à
Noël. C’était pour moi un trésor que
j’ai gardé précieusement et utilisé souvent.
À
cette même époque, je n’oublierai jamais une autre dame qui elle, devait être assez
âgée car dans mon souvenir, elle était très ridée et avait du mal à se
mouvoir. Cette merveilleuse personne
nous avait montré la couture à l’aiguille.
Lors d’une séance, alors qu’elle désirait nous enseigner un point en
particulier, elle s’était aperçu qu’il lui manquait l‘aiguille spéciale à
utiliser pour cette tâche. Elle ne
s’était pas laissée dérouter par ce contretemps. Ses paroles pleines de sagesse résonnent
encore aujourd’hui à mon oreille : « …peu importe…, si on n’a pas ce qu’on
désire, on s’arrange avec ce qu’on a. » et, la voilà qui nous
montre ce nouveau point avec une aiguille ordinaire qu’elle a sous la main!
Il
y a eu d’autres personnes âgées qui ont eues un impact sur mon cœur et dans ma
vie, cependant, c’est peut-être la personne suivante qui m’a impressionnée le
plus.
Cette
dame qui a exercé une grande influence dans ma vie s’appelait Madame G. MacKenzie. Elle a été ma monitrice d’école du dimanche
alors que j’avais à peu près dix ou onze ans.
Je ne sais pas si j’ai déjà entendu son prénom car dans ces temps-là, il
ne n’était pas permis d’appeler son enseignant ou tout autre personne adulte
par son prénom donc, pour moi, elle a toujours été Madame MacKenzie! C’était une femme qui aimait le Seigneur et
cet amour transparaissait dans ses paroles et ses gestes prodigués envers ses
élèves. Elle était une petite femme d’une
grande dignité et elle avait toujours
une parole encourageante, un sourire, à nous offrir. Je sais qu’elle priait régulièrement pour nous, pour moi. En outre, elle se démarquait par le fait
qu’elle utilisait toujours une plume fontaine dont la couleur de l’encre était turquoise. Dans ces années-là,
pour une fillette comme moi qui ne connaissais que les plumes fontaine à encre marine, utilisées à l’école, c’était tout à fait inusité – et je
trouvais cela magnifique!
J’ai
le souvenir d’avoir été invitée avec ma famille à aller chez Madame MacKenzie,
nous, qui étions de la classe des pauvres. Il y avait chez elle de beaux et vieux meubles
(qui, aujourd’hui seraient qualifiés d’antiquités!) et tout plein de photos sur
les murs. Elle n’était pas si riche
financièrement, demeurant en appartement, mais elle était riche en bonté et en
générosité. J’ai encore un petit cadre
qu’elle m’avait offert lors de mon baptême d’eau.
À
l’endos, elle y a inscrit (à l’encre turquoise!) la référence Matthieu 6 :
19-21 et 33 où on peut lire : « Ne
vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent
et où les voleurs percent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans
le ciel, où la teigne et la rouille ne détruisent point et les voleurs ne
percent ni ne dérobent, car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. Cherchez premièrement le royaume et la
justice de Dieu; et toutes ces choses vous seront données par-dessus. »
J’ai
également retrouvé une petite carte sur laquelle est inscrit un poème qu’elle a
composé. Je crois que c’était sa devise,
son maxime de vie transcrit en rimes. J’ai
essayé de le traduire car il exprime précisément la personne qu’elle était.
UN CŒUR RADIEUX
Être
au service de son prochain ;
s’efforçant d’être authentique et vrai ;
cherchant
à rendre heureux, autrui,
par tout ce que tu accomplies ;
sois
franc, enjoué et expansif
mais, sans jamais être impoli ;
heureux,
amuse-toi, riant d’emblée
et cela sans être grossier.
Ne
néglige pas d’être prévenant,
n’oublie jamais d’être souriant,
alors,
tout en toi resplendira
partout où tu iras!
G. Mackenzie
(Traduction
libre de P. Béliveau)
Je
suis convaincue que Dieu a mis cette femme dans ma vie. Je suis celle que je suis aujourd’hui en
partie grâce aux nombreuses prières et requêtes qu’elle a élevées en ma faveur
auprès du Seigneur.
Toutes
ces merveilleuses personnes, je les ai éventuellement perdues de vue, mais leur
influence et leur empreinte bienfaisante laissées en moi m’accompagnent encore.
Ils
m’ont appris l’amour inconditionnel,
à rire et développer le sens de l’humour. J’ai appris le don de soi et de son temps ;
la débrouillardise ; l’acceptation de l’autre quel que soit son
statut social ; la générosité,
et aussi qu’il est possible d’être singulier
et différent ou original tout en étant créatif. Mais avant tout, j’ai appris l’importance de la prière.
Il
y a tant d’enfants tout autour de nous qui souffrent de ne pas avoir de
relation avec leurs grands- parents, ne serait-ce qu’à cause de l’éloignement
dû à l’emploi de Papa ou Maman. Attention, je ne crois pas qu’il faille
essayer de prendre la place des grands-parents éloignés, mais de mettre un
baume sur la situation en exerçant une influence positive, rempli d’amour, dans
la vie de ces enfants.
À
présent, je suis l’heureuse grand-maman de douze petits-enfants vivants, qui me
sont tous et chacun très précieux, mais il y a toujours de la place pour plus
dans mon cœur.
J’espère réussir à léguer
à mes propres petits-enfants ainsi qu’à tous les autres enfants que Dieu
placera sur ma route, le riche héritage que j’ai reçu de la part de ces
personnes extraordinaires – mes « grands-parents de substitution » qui m’ont été
prêtés au moment où, sans même le savoir, j’en avais tant besoin.
Grand-maman
Priscille
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