« Allez donc jouer
dehors! » J’entends encore ma
maman, de sa voix empreinte d’un soupçon d’exaspération devant notre trop plein
d’énergie ou d’agaçante léthargie. Maman savait que le meilleur remède à
prescrire contre ces deux maux opposés – l’énergie à revendre et l’inactivité
oisive – est une bonne dose de soleil, d’air frais, d’espace et exercice! Elle-même avait été élevée à la ferme avec
ses onze frères et sœurs, et le champ autour de la maison était son aire de jeu
préférée. Là, elle s’imaginait toutes
sortes de passe-temps et elle apprenait à parfaire son talent singulier en se
fabriquant des jouets avec des cailloux, des bouts de branches, des feuilles ou
spathes de maïs. À ses yeux, la nature
était un cadeau de Dieu, dont la beauté n’a
jamais cessé de l’émerveiller.
Nous, ses enfants, avons pu bénéficier
de ses connaissances de la nature ainsi que de sa capacité de se divertir et de
se distraire avec presque rien. Je me
souviens d’une occasion en particulier, alors que nous étions allés faire une
semaine de camping en famille (je crois que c’était la première et la dernière
fois!), une idée de dernière minute à mon père qui savait être impulsif et spontané. Donc, à cause de notre départ précipité, il me semble que nous n’y avions pas apporté
de jouets. Le site se trouvait sur le
bord d’un lac – nommé «Lac Cristal» – où la baignade n’était pas
particulièrement plaisante à cause des gros cailloux sur la plage et du fond de
l’eau boueux et gluant. Je n’avais que
cinq ou six ans, donc je ne me rappelle pas de tout, mais il me semble que mon
père était souvent parti et que nous restions seuls avec notre mère. Cependant, je me souviens clairement du jour
où elle a trouvé le moyen de nous divertir et nous amuser. Elle nous avait fabriqué de petits canots à
partir d’écorces de bouleaux, « cousus » avec des lianes d’herbes
quelconques. Je crois me souvenir que
nous avions fait des personnages avec des petites pierres, des bouts de
branches et des coquillages. Nous avons été
si occupés et absorbés par ces nouveaux «jouets», qu’à la fin de la semaine, le
jour du départ était un peu mélancolique, tandis qu’au début je désirais ardemment
retourner à la maison.
Notre maman possédait un talent rustique
qu’elle a mis en œuvre pour nous amuser au cours des années de notre enfance. Elle a nous fabriqué plusieurs autres jouets
pour l’extérieur, tels que des arcs et des flèches, des poupées faites de
feuilles ou spathes de maïs, de colliers de fleurs de pissenlit, des tomahawks
et des tipis. Cependant, une fois que
ses créations avaient été faites, elle nous laissait à nos propres machinations
et inventions. Ainsi, nous avons découvert
le secret du plaisir qu’offrent les conceptions et réalisations sortis de notre
imagination… imagination qui se trouvait
stimulée par tous les trésors dont la nature recèle et est remplie!
Quelques années plus tard, nous sommes
allés habiter dans une grande ville. Je
n’étais pas particulièrement encline à sortir, n’étant ni sportive ni portée
vers l’exercice physique, préférant rester le nez enfouie entre les pages d’un
livre! Par contre, il y avait des parcs
à proximité de notre appartement, et lorsque contrainte par ma mère, je
finissais toujours par y trouver une activité intéressante telle que de
ramasser de jolies feuilles d’automne pour les faire sécher entre les pages d’un
livre.
Il faut croire que cela ne m’a pas
affectée de façon négative, car j’ai agi de la même manière avec mes propres
enfants! Ils allaient jouer dehors à
tous les jours – sauf par temps pluvieux ou par grands froids polaires – et
quand ils rentraient, le teint bruni par le soleil d’été ou les joues rosies
par l’air froid de l’hiver, comme ils étaient beaux! De plus, j’ai également suivi dans les traces maternelles
en réalisant des jouets pour l’extérieur tels que pelles pour le sable faites à
partir de bouteilles de plastique, cannes à pêche, arcs et flèches, tipis,
personnages de pommes de pin, tapis de carton pour glisser sur la neige et même
une authentique patinoire dans la cour arrière.
À leur tour, et cela bien que les
gadgets électroniques aient dès lors gagné la première place dans la vie des
jeunes, mes enfants reconnaissent encore la valeur et l’importance de
l’activité physique et les jeux extérieurs au grand air. Lorsqu’un de mes petits-fils devenait
agaçant, taquin et irritable, voire insupportable, ma fille le sommait d’aller
faire trois fois le tour de la maison au pas de course. Il y allait à contrecœur, mais il rentrait
immanquablement calmé et de bonne humeur!
Hier, tandis que, grâce à un congé
pédagogique, trois de mes petits-enfants étaient venus se faire garder chez
nous, nous avons bénéficié d’une magnifique journée hivernale! Il faisait agréablement doux et la neige
était collante, de consistance idéale pour faire des balles ou de grosses boules
de neige pour la construction d’un bonhomme ou d’une forteresse. Il y a eu quelques petites escarmouches de bataille
de balles de neige mais la majorité du temps a été passée à la fabrication de
forteresses. Mon ambitieuse
petite-fille, est allée commencer une boule de neige bout du verger mais au
trois-quarts du trajet vers sa forteresse, sa boule de neige, qui mesurait près
de 3 pieds de diamètre, était tellement grosse qu’elle n’arrivait plus à la
faire avancer! C’est alors qu’elle a
sollicité mon aide et que bon gré, mal gré, en déblayant l’excédent de neige
qui s’y ajoutait continuellement en la roulant, nous sommes arrivées à
destination!
Il fut un temps où l’on voyait
immanquablement des familles se promener les soirs après souper, alors que
d’autres les saluaient, bien installés dehors sur le balcon à l’avant de la
maison. Il est maintenant chose rare,
sinon inexistante, d’apercevoir des gens assis sur un balcon. Quel malheur que la nouvelle génération perde de
plus en plus le goût des activités extérieures! Quel dommage que l’exercice le plus répandu aujourd’hui
consiste à faire bouger ses pouces et ses doigts sur un clavier! Quelle ironie que de nos jours, le gouvernement
se voie obligé de faire de la publicité incitant les gens à «aller jouer
dehors»!
Savoir s’amuser dans la nature est une
aptitude, un talent qui se perd. Eh oui,
on peut incontestablement affirmer que pour une minorité d’enfants de notre
époque, savoir s’amuser dehors est un singulier et heureux talent!
Grand-maman Priscille