mardi 2 octobre 2018

Don de soi



Connaissez-vous le concept du « don de soi »?  On entend rarement cette expression de nos jours!  Cette notion semble tout à fait démodée car, d’après la philosophie moderne, chacun doit chercher à s’occuper d’abord de « numéro uno »!

Les gens qui exercent le don de soi mettent les besoins des autres avant les leurs.  Ils s’oublient presque.  Ma maman l’avait compris et l’a mis en pratique tout au long de sa vie.  Je me souviens que nous étions pauvres, financièrement.  Elle a travaillé de longues heures dans une usine (de 7 heures du  matin à 17 heures le soir) et cela pendant des années afin de subvenir aux besoins de notre famille de quatre enfants.  

Les samedis matins – ce qui, selon la conception moderne, était sa journée de congé – elle entraînait un de nous avec elle, tirant derrière nous une petite voiturette délabrée, pour faire la tournée des épiceries et des marchés afin de trouver les meilleurs prix.  Cela nous prenait l’avant-midi et j’étais franchement fatiguée quand enfin nous rentrions chez nous. 


Mais Maman, elle, ne pouvait pas être épuisée, car ensuite, il y avait notre repas du midi à préparer, puis la corvée de la lessive.  Et, non, elle ne possédait pas une lessiveuse automatique comme la mienne, elle avait une machine à laver à laquelle il fallait, à chaque fois, raccorder les tuyaux aux robinets afin de la remplir.  Ensuite, après un temps de brassage, elle activait les rouleaux du tordeur entre lesquels elle passait chaque morceau pour tout essorer.  Et, oublions le séchoir à culbutage électrique, son séchoir était une corde à linge à l’extérieur, dont elle se servait même en hiver – à des températures de -20°C à -40°C – se protégeant des gelures aux doigts en enfilant des gants en latex (imperméables) pardessus ses gants de laine.    

Je me souviens qu’à la fin de la journée, elle rentrait les vêtements gelés – des pantalons tellement raidies qu’ils tenaient debout presque tout seuls! – et partiellement asséchés afin de les étendre sur une corde tendue d’un côté à l’autre de la cuisine pour en achever le dessèchement.

Les soirs de semaine, après avoir préparé le souper, puis lavé la vaisselle accompagnée de l’une de nous (adolescentes récalcitrantes), elle écoutait parfois une émission de télé, mais plus souvent qu’autrement elle retrouvait son lit dès 20 heures ou, au plus tard, 21 heures.

Je revois encore en souvenir que parfois, arrivée à la caisse de l’épicerie, elle n’avait pas assez d’argent pour payer et elle devait retourner certaines denrées.  Je l‘accompagnais à l’âge de cinq ou six ans, et je me rappelle lors d’une de ces occasions, de son expression remplie d’embarras.

En rétrospective, je me rends compte qu’elle s’est privée de nourriture afin que nous en ayons.  Lorsqu’elle en avait les moyens, elle nous achetait des bananes, qu’elle-même ne mangeait pas mais elle en grattait nos pelures, prétendant d’en préférer le goût….  Je n’ai pas de souvenir qu’elle s’en soit plaint, elle acceptait avec sérénité la vie qui était sienne.


Pour ma part, j’ai essayé de suivre ses traces, mais malheureusement, je ne pense pas y être arrivée, même avec tous les appareils modernes à ma disposition.  Son dévouement et son amour pour nous est une preuve du véritable don de soi.

Il y a de nombreuses façons de démontrer ce trait de caractère.  Je connais des mamans qui se sont levées la nuit pour nettoyer et changer les draps d’enfants incontinents jusqu’à l’âge de 8 – 9 ans.   D’autres qui se privent de loisirs, ou encore qui prennent soin d’enfants souffrants de maladies telles que l’autisme.

Mais, aujourd’hui, plus que jamais, les gens (parents) clament leurs droits et réclament des privilèges qu’ils croient leur être dus.  Ils veulent « du temps pour eux ».  Les garderies d’enfants regorgent de tout-petits – qui préfèrent de loin être avec leurs parents – afin que ceux-ci puissent vaquer à leurs occupations.  Il est vrai que certaines mamans n’ont autre choix que de sortir travailler, mais que dire de celles qui n’en ont pas besoin ou qui sont chez elles, bénéficiant de l’assistance sociale…?

D’après le psychologue familial John K. Rosemond1 – reconnu dans le monde anglophone – sa profession (c’est-à-dire les psychologues) a inventé dans les années 1960, le concept de « l’estime de soi ».  Il dénonce ce concept et le rend responsable de la destruction des enfants, des familles, de la société moderne.   

À partir de cette pensée de « l’estime de soi », les parents ont été sommés de bâtir l’estime de soi de leur progéniture en leur répétant à quel point ils étaient bons, beaux, fins et capables.  Cela a eu pour effet de créer des enfants imbus d’eux-mêmes, qui se croient au-dessus des lois et meilleurs que tous – même, et peut-être surtout, meilleurs que leurs propres parents.  Ils n’ont pas de respect pour autrui – ni pour les adultes, ni pour leurs pairs.  

Le Dr. Rosemond affirme que l’humilité est inexistante dans ces circonstances car …. les deux – humilité et estime de soi – ne peuvent coexister.

En effet, il faut de l’humilité pour discerner qu’il y a des gens plus compétents, adroits, avisés, chevronnés que soi;  il faut de l’humilité pour pouvoir admettre qu’on n’a peut-être pas toujours raison;  il faut une bonne dose d’humilité pour pouvoir admettre qu’on a eu tort.

Il faut également de l’humilité pour admette et accepter que l’autre, à son tour  fasse des erreurs, de supporter humblement le fait que l’autre n’est pas parfait – pas plus que soi-même.

Pratiquer le don de soi, c’est faire preuve d’humilité, considérer, placer l’autre au-dessus de soi.  La Bible nous dit que Jésus en a été l’exemple parfait : 

Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ…  (il) s’est dépouillé lui-même, en prenait une forme de serviteur…  il s’est humilié lui-même….

De nos jours, l’égoïsme est rampant.  Les mariages éclatent plus que jamais.  Les jeunes gens d’aujourd’hui demandent le divorce pour des raisons les plus banales.  Une jeune femme que je connais, mariée depuis près d’un an, a demandé le divorce sur la base qu’elle trouvait son nouveau conjoint ennuyant.

John F. Kennedy a dit : « Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, mais demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays. »

Et si, selon cette même idée on se disait : 

Ne demande pas ce que ton/ta conjoint/e peut faire pour toi, mais demande-toi ce que tu peux faire pour ton/ta conjoint/e.


…il me semble que bien des situations changeraient….

Et puis, qu’en est-il maintenant de la situation parent/enfant? 

Avant d’avoir bébé, on trouve tout le temps, l’énergie et la disposition nécessaire pour sortir s’amuser pour ensuite se coucher aux petites heures du matin.  Mais comment se fait-il qu’aussitôt bébé arrivé, maman et papa ont soudainement besoin de leurs huit heures de sommeil continues – sans interruption?  Lorsqu’il s’agit de céder quelques minutes de sa nuit pour donner des soins vitaux à ce poupon qui ne peut faire autrement que de compter sur nous, soudain, c’est trop dur…..

Il faut admettre que si on est enseignable, le premier bébé aide à apprendre le renoncement et à tendre vers la maturité!

Quelqu’un a dit que l’abnégation et le dévouement mènent à de plus grandes bénédictions.  Je suis convaincue que c’est le secret que ma maman avait découvert.

Lorsque ma maman est décédée, j’ai été étonnée de recevoir (au même titre que mes sœurs et mon frère)  un montant d’argent en héritage.  Encore une fois, elle a prouvé son amour envers nous car elle aurait pu vivre plus aisément après notre départ de la maison.  Cependant, elle a continué à vivre dans la simplicité……et elle a pu, de cette manière et malgré le peu de moyens qu’elle avait, amasser un peu – c’est-à-dire, beaucoup – pour  chacun de nous….  Elle a exercé le don de soi jusqu’à la fin de sa vie.

J’ai désiré utiliser ce legs pour me procurer un objet qui servirait de souvenir en son honneur.  J’ai choisi une horloge « grand-père » sur laquelle j’ai fait inscrire : « En mémoire de Mémé ».  Cette horloge est devenue pour moi, un rappel que la vie est éphémère, que chaque seconde, chaque minute, chaque heure passe si rapidement.  Un rappel de la vie après la mort qui, elle, est intemporelle, éternelle.

Et finalement, à mon tour, dans ce court laps de temps que j’ai à passer sur terre, saurais-je démontrer à mes enfants et mes petits-enfants ce qu’est le « don de soi »…?  Je l’espère de tout cœur.


1. (https://www.arcamax.com/homeandleisure/parents/johnrosemond/s-1241407)

2. Épître aux Philippiens 2 : 5 - 8



Grand-maman Priscille



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